Le retour annoncé du Vatican dans le concert des nations |
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En nommant Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, le pape François entend renouer avec la géopolitique d’une manière volontariste. Et relancer la réflexion de l’Église sur ce sujet.
Depuis le soir du conclave, on n’attendait que ça. Le nom du nouveau secrétaire d’État, à savoir l’homme qui, dans la structure du Saint-Siège est celui qui tient les manettes du gouvernement de l’Église, et qui succéderait à Tarcisio Bertone, 78 ans. Le 31 août, la nouvelle est enfin tombée : Pietro Parolin, un Italien de 58 ans, actuellement nonce au Venezuela, relèvera le défi (voir encadré). Le pape a choisi de revenir à la tradition qui veut que ce poste de gouvernement soit confié à un homme issu de la filière diplomatique, le secrétaire d’État pilotant lui-même la diplomatie vaticane. Le lendemain, le pape lançait un cri pour la paix en Syrie : il condamnait les armes chimiques, appelait la communauté internationale à trouver une issue par le dialogue et la négociation, et invitait les catholiques, mais aussi « les frères chrétiens non catholiques, les adeptes des autres religions, ainsi que les hommes de bonne volonté » à une journée de jeûne et de prière, le samedi 7 septembre. Du jamais vu.
Un nouveau « diplomate en chef », suivi d’un appel prophétique du pape ? La concomitance n’est pas le fruit du hasard. Le Vatican entend faire son retour sur la scène géopolitique, sur un mode volontariste, à l’image des nombreuses prises de parole du pape François sur des thèmes économiques et sociaux, voire politiques comme le cri de Lampedusa. « Ces dernières années, on avait assisté à une mise en sourdine du rôle diplomatique du Saint-Siège. En privé, les nonces se plaignaient souvent d’être négligés, témoigne Philippe Chenaux, historien et professeur à l’université du Latran, à Rome. Le Saint-Siège a donné l’impression de se focaliser sur la défense d’intérêts propres, au détriment d’une “grande” politique de la promotion de la paix et des droits de l’homme qui a connu son apogée sous Jean Paul II. Benoît XVI pensait en théologien, pas en politique comme son prédécesseur. La preuve en est l’affaire de Ratisbonne, où il a fait valoir sa vérité sur l’islam, et endommagé l’image de l’Église comme acteur géopolitique. »
Sur le plan diplomatique, le Saint-Siège dispose d’un réseau exceptionnel, dans quasiment tous les pays du globe, d’ambassadeurs appelés « nonces apostoliques ». Une élite formée au plus haut niveau dans une académie réservée à des prêtres de calibre supérieur, et qui a fourni plusieurs papes (Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI). Des « énarques », aussi bien hommes de terrain que de dossiers, qui feront leur carrière dans des lieux reculés, parfois peu sûrs, face à des autorités civiles hostiles ou fluctuantes. Mais cet outil, pour bien fonctionner, doit être dirigé de main de maître. Sous Tarcisio Bertone, ce ne fut pas le cas, explique l’un de ceux qui l’ont côtoyé à la secrétairerie d’État : « Non seulement il ne comprenait pas ce qu’est la diplomatie, mais il était limité intellectuellement. Par contre, avec Pietro Parolin, le pape François a mis un turbo dans son moteur. »
Il était temps que l’Église se donne à nouveau les moyens de ses ambitions. « Jean Paul II avait réussi la synthèse entre l’activité diplomatique du Saint-Siège et sa pastorale mondiale, explique son biographe, Bernard Lecomte. Lorsqu’en 1978 Jean Paul II a tapé du poing sur la table pour stopper le conflit entre l’Argentine et le Chili, tout le travail a ensuite été réalisé par ses diplomates, pour arriver à un accord cinq ans plus tard… Autre exemple : une chose était de rapprocher les catholiques des juifs par des gestes et des paroles, une autre était de signer les accords entre Israël et le Saint-Siège, ce qui a exigé des diplomates des centaines d’heures de travail. La parole prophétique ne sert à rien si elle n’est pas relayée par des experts du métier diplomatique, avec un patron qui “assure”. Le tandem Wojtyla-Casaroli a permis à l’Église d’avancer sur ses deux pieds, le prophétique-éthique et le diplomatique-politique. »
Pour François Mabille, professeur à l’université catholique de Lille et expert en géopolitique religieuse, le pape François répète sur la Syrie une parole assez convenue et attendue sur le mode « plus jamais la guerre, faisons à tout prix la paix », qui trahit le retard accumulé par l’Église dans sa réflexion. « Les dernières réflexions un peu poussées sur les conflits internationaux remontent au début des années 1980, à l’époque des euromissiles et de la dissuasion nucléaire. Où sont, par exemple, les travaux d’experts et de théologiens catholiques sur la politique à tenir face à une guerre civile ou un dictateur ? Les seuls qui avaient réfléchi à cette question étaient les théologiens de la libération, mais ils ont été soigneusement marginalisés. Pour un Marc Stenger, évêque de Troyes, très engagé sur ces questions, combien d’évêques s’en désintéressent totalement, se repliant sur la résistance contre-culturelle des catholiques face aux lois qui entérinent les évolutions sociétales ? L’Église doit investir dans la réflexion, et ne peut se contenter de se polariser sur l’économique et le financier, comme si ces deux domaines résumaient les relations internationales. Les critères de la guerre juste, issus de la pensée scolastique, ne suffisent plus. Il faut un aggiornamento. » En l’occurrence, l’Église catholique « experte en humanité » semble dépassée intellectuellement face à l’inhumanité de la folie fratricide syrienne. Le dominicain François Daguet reconnaît que celle-ci pulvérise les critères de ce qui définit la guerre juste, qui ont pu s’appliquer jusqu’ici, et rappelés lorsque Jean Paul II s’opposa à la guerre en Irak en 2003. « Deux critères sont ici vérifiés, à savoir : l’épuisement des moyens diplomatiques et raisonnables, et la certitude avérée des dommages durables subis par les victimes. Mais deux autres ne sont pas vérifiés. Primo, il faudrait être sûr que les conditions sérieuses de succès soient réunies. Secundo, il faudrait être certain qu’une intervention n’entraînerait pas des maux plus graves que ceux que l’on veut éviter. Il n’est donc pas question que l’Église puisse être d’accord pour la frappe envisagée. » Néanmoins, il n’est pas possible de ne rien faire non plus, selon le théologien, qui reconnaît que « la théologie politique de l’Église est défaillante. La doctrine de la guerre juste est un sous secteur de la doctrine du moindre mal ». Un terrain épineux sur lequel l’institution ecclésiale n’a jamais été à l’aise.
En Syrie, l’Église catholique est gênée aux entournures en raison de l’existence de minorités chrétiennes… Selon Bernard Heyberger, auteur des Chrétiens au Proche-Orient, de la compassion à la compréhension (Payot), « l’adhésion au régime se fait la peur au ventre de ce qui pourrait advenir après. Les catholiques préfèrent être sous la coupe d’un dictateur, qui les “protège”, et redoutent une évolution à l’ irakienne. Le fonctionnement démocratique n’est pas leur idéal. Leurs Églises sont d’ailleurs structurées sur un mode autoritariste… » Ce dilemme politique catholique n’est pas assumé au grand jour par Rome, comme le signale le jésuite Henri Madelin : « Le pape est très habile, car son appel vibrant pour la paix masque cet enjeu crucial pour l’Église. » Selon François Mabille, « la diplomatie du Saint-Siège, par tradition, défend deux principes : défendre la liberté religieuse pour les catholiques et promouvoir les droits de l’humanité. Mais, parce que les dictatures “protègent” les catholiques, le Vatican soutient de façon implicite que l’on peut vivre sa foi tout en s’accommodant d’un régime dictatorial ».
On n’est pas si loin de la logique qui avait prévalu en 1933 quand Rome, consciente de la dangerosité de Hitler, a pris le risque de négocier avec lui pour assurer au maximum la sécurité des catholiques par un concordat. Mais cet équilibre pragmatique, pratiqué longtemps également en Irak ou en Égypte, a des limites lorsque le dictateur va trop loin, comme c’est le cas en Syrie depuis deux ans. « Actuellement, reprend François Mabille, on navigue encore à vue à Rome, sans qu’une stratégie claire ait été définie au sujet des minorités chrétiennes depuis les printemps arabes. Toutes ces questions renvoient à une alternative insoluble : faut-il protéger les catholiques au risque de relativiser les droits de l’homme ? » Ce qui revient à introduire une hiérarchie, justifiable d’un point de vue affectif et humain, mais pas sous l’angle théologique et prophétique.
source: lavie.fr - par Jean Mercier |
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