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RFI - Par Tirthankar Chanda
Depuis son premier roman Tout ce bleu, paru en 1996, le Camerounais Gaston-Paul Effa a bâti une œuvre poétique, autour des thèmes récurrents de l’enfance, de l’exil et de la mystique de la vie traditionnelle africaine. Ses huit titres, situés au carrefour de l’autobiographique et de la fiction, ne sont pas sans rappeler le lyrisme élégiaque d’un Cheikh Hamidou Kane ou d’un Camara Laye. Chemin faisant, l’homme a gagné en maturité et en puissance de narration, comme en témoigne son neuvième roman qui vient d’être publié.
Tout en s’inscrivant dans les thématiques chères au cœur de l’auteur, Je la voulais lointaine donne à lire, à travers un récit structuré comme un drame antique, les heurs et malheurs de son héros au seuil de l’âge adulte, expérimentant les limites de son pouvoir sur le monde. « Je m’appelle Obama, un nom d’oiseau. Le nom est une réalité nourricière comme la salive. Dans l’ordre supérieur des symboles, il représente la vertu qui maintient en vie. Etre digne de son nom est le souci majeur de l’existence, au point qu’un homme, à toutes les étapes de sa croissance, a besoin de s’assurer qu’il peut, sans risquer de châtiment éternel, mourir, là, tout de suite, s’il porte mal son nom. Tout l’être est dans le nom ; le reste compte bien peu. » Ainsi parle le protagoniste de ce superbe récit d’apprentissage.
« La vie est un chemin de souffrance »
Jeune Africain exilé en Europe, Obama est nostalgique de ses racines africaines. Il culpabilise d’avoir failli à ses devoirs envers sa communauté et les siens. Dans un précédent roman (Nous, enfants de la tradition. 2008), Effa avait raconté l’histoire d’un émigré africain qui, pour mieux se conformer à la tradition, envoyait tout son salaire d’ingénieur à ses parents restés au pays, mettant ainsi en danger la survie de la famille qu’il avait fondée en France. Les enjeux que le Camerounais met en scène dans son nouveau roman sont moins matérialistes, mais ils n’en sont pas moins vitaux pour autant.
Je la voulais lointaine
raconte la rupture de l’imaginaire et renoue avec le motif de « l’homme tiraillé entre deux mondes », si cher aux premiers romanciers issus des pays colonisés. Intégré sans heurts majeurs dans la société européenne où il s’est réalisé tant sur le plan professionnel que sur le plan sentimental, le héros d’Effa, au nom d’oiseau, mène une vie heureuse. Or malgré son intégration exemplaire, Obama est rongé par un sentiment d’inaccomplissement lié à son passé africain. Cette frustration a à voir avec la promesse faite à son grand-père mourant qu’il se montrerait digne du secret des origines que celui-ci venait de lui transmettre.
Guérisseur animiste, admiré par les siens, Elé tutoie les dieux. La vie d’ici-bas comme le monde des ancêtres n’ont aucun secret pour cet homme imprégné de savoirs mystiques et de traditions millénaires. Sentant la mort proche, il conduit son petit-fils favori au cœur de la forêt pour lui remettre le sac totémique de la tribu. « Je t’annonce que tu es officiellement propriétaire de ce sac. (…) Ce sac te fera passer les barrages sans problème. Tu ne révéleras ce secret à personne, sous peine de le voir disparaître. » Un secret trop lourd à porter pour le petit garçon. D’autant plus lourd que le rituel de transmission est accompagné d’un avertissement paralysant et castrateur : « Makambo mimbalé na mokiri ». Autrement dit, « La vie est un chemin de souffrance ». Obama s’empressera de se débarrasser du sac totémique, avant de « partir, fuir ce village, partir le plus loin possible, disparaître ».
Le roman raconte le retour au pays natal où doit s’accomplir le destin contrarié de son protagoniste. Ce sujet est récurrent dans l’œuvre de Gaston-Paul Effa et dans la littérature postcoloniale en général. Il est symbolique de la fin de l’aliénation coloniale et de la réappropriation de son histoire par le sujet colonisé. L’écriture thérapeutique, toute en ellipses et en suggestions, que pratique Effa, lui permet d’explorer avec bonheur toutes les potentialités poétiques de cette thématique. Elle entraîne le lecteur au cœur d’une imagination luxuriante qui sait transformer les vies en légendes. |
Je la voulais lointaine, par Gaston-Paul Effa. Editions Actes Sud. 144 pages. 15,80 euros.
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RFI - Par Tirthankar Chanda
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